Réparation du préjudice subi par l’artiste suite à la rupture anticipée et fautive du contrat d’enregistrement exclusif par le producteur
Le 15 septembre 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée sur les conséquences indemnitaires de la rupture anticipée et fautive du contrat d’artiste par le producteur, dont il sera rappelé qu’il constitue un contrat à durée déterminée d’usage (CDDU).
Cour de cassation, Chambre sociale, 15 septembre 2021, 19-21.311
Lire la décision en intégralité ici.
Exposé du litige
Le 19 septembre 2014, un contrat d’enregistrement exclusif a été signé entre un artiste-interprète et la société Universal Music pour une durée minimale de 42 mois.
Dans le cadre de ce contrat, l’artiste concédait au producteur l’exclusivité de la fixation de ses interprétations, de la reproduction et de la communication au public de ses enregistrements audio et/ou audiovisuels d’œuvres musicales sur tous supports et par tout procédé, pour le monde entier, en vue de la réalisation de 3 albums.
Après la réalisation du 1er album, Universal Music a mis fin au contrat de façon anticipée par lettre du 25 septembre 2015.
Invoquant une rupture « précipitée et déloyale », l’artiste a alors saisi le Conseil de prud’hommes de Paris et réclamé le paiement d’une indemnité de plus de 200 000 € au titre de la perte des salaires, des avances sur redevances et de la perte d’une chance de recevoir d’autres rémunérations.
Le Conseil de prud’hommes lui a donné gain de cause par un jugement du 24 juin 2016, condamnant Universal Music à payer à l’artiste diverses sommes au titre des cachets, avances sur redevances, pertes de chance de réaliser des albums LP2 et LP3, et préjudice moral.
La rupture du contrat par Universal Music a été considérée comme fautive puisqu’elle n’était pas justifiée par l’un de cas visés à l’article L 1243-4 du Code du travail, c’est-à dire : i) faute grave du salarié, ii) force majeure, iii) inaptitude constatée par le médecin du travail.
Universal Music a interjeté appel de ce jugement.
Le centre des débats portait sur l’étendue de l’indemnisation à laquelle l’artiste/salarié pouvait prétendre, à la suite de la rupture anticipée et fautive intervenue à l’initiative du producteur/employeur.
Effet, il résulte de l’article L 1243-4 du Code du travail que « la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l’initiative de l’employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat, sans préjudice de l’indemnité de fin de contrat prévue à l’article L 1243-8 ».
En appel, Universal Music faisait valoir que seuls les cachets et avances sur redevances pouvaient être pris en compte dans l’évaluation du préjudice économique de l’artiste.
A l’inverse, l’artiste faisait valoir « que l’article L 1243-4 du Code du travail ne fixe qu’un minimum, constitué des avances et salaires, mais n’exclut pas la réparation d’un préjudice supplémentaire constitué de la perte de chance précitée ».
La Cour d’appel a statué en faveur d’Universal Music sur cette question.
Elle a rappelé que le contrat d’artiste est un contrat « mixte », c’est-à-dire un contrat de travail et un contrat de cession de droits d’artiste-interprète.
Elle a considéré que « ne peuvent être incluses dans l’appréciation du préjudice du salarié, la perte économique née de la privation des redevances à percevoir sur les albums que le producteur a décidé de ne pas produire alors qu’il s’y était engagé de manière ferme ».
Selon la Cour d’appel, il ne pouvait être tenu compte de cette perte de chance puisque :
- le préjudice subi par l’artiste en raison de la rupture anticipée de son contrat de travail est, pour ce qui concerne cette relation contractuelle salariée, un « préjudice spécifique dont la réparation est prévue par l’article L 1243-4 du Code du travail précité, distinct de celui causé par la partie relative à la cession de ses droits (…)»
- dès lors, par application de l’article susvisé, seules les rémunérations à caractère salarial que l’artiste aurait dû percevoir jusqu’à l’échéance du contrat pouvaient être prises en compte
- or, les redevances issues de l’exploitation d’enregistrements « ne sont pas des salaires et ne peuvent y être assimilés » en application de l’article L 7121-8 du Code du travail, puisque « la présence physique de l’artiste n’est plus requise » pour exploiter les enregistrements.
L’artiste a alors formé un pourvoi en cassation.
La question posée à la Haute Juridiction était donc la suivante : l’évaluation des dommages intérêts venant réparer le préjudice subi par l’artiste/salarié doit-elle prendre en compte les salaires et redevances, ou bien les redevances doivent-elles être exclues du fait que celles-ci ne constituent pas des rémunérations à caractère salarial ?
Le 15 septembre 2021, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel.
L’artiste peut réclamer réparation du préjudice résultant de la perte de chance de percevoir des redevances liées à l’exploitation des albums non produits.
Selon la Haute juridiction :
- l’article précité « fixe seulement le montant minimum des dommages-intérêts dû au salarié, dont le contrat à durée déterminée a été rompu avant son terme de manière illicite, à un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat »
- mais cet article «ne limite pas le préjudice dont il peut réclamer réparation aux seules rémunérations dont il aurait été privé »
- par conséquent « l’artistepeut réclamer la réparation d’un préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains liés à la vente et à l’exploitation des albums non produits* dès lors qu’il rapporte la preuve du caractère direct et certain de ce préjudice et que celui-ci constitue une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention*** (…)
La solution édictée est favorable aux artistes et s’inscrit dans la continuité de l’arrêt du 3 juillet 2019 rendu par la Cour de cassation dans l’affaire Superbus (lire la décision ici).
La jurisprudence semble aujourd’hui bien établie sur cette question : l’artiste peut réclamer réparation du préjudice lié aux rémunérations dont il a été privé du fait de la rupture anticipée, mais également réparation du préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains liés à l’exploitation des enregistrements non produits, à condition toutefois que la preuve du caractère direct et certain du préjudice soit rapporté, ce qu’il appartient aux juges du fond de constater.
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