Ouvrage biographique de Jean Ferrat : la publication d’extraits de paroles de chansons n’est pas constitutive de contrefaçon
Exposé des faits
L’affaire a débuté par la publication par les éditions Fayard en 2010 d’un ouvrage biographique consacré à l’auteur-compositeur et artiste Jean Ferrat.
La maison d’édition, qui n’avait pas obtenu l’autorisation des ayants droit, a été assignée en contrefaçon par l’exécuteur testamentaire de Jean Ferrat et l’éditeur de ses œuvres musicales.
Deux arguments étaient essentiellement invoqués :
- Le fait d’avoir publié les paroles séparément des musiques portait atteinte au droit moral de l’auteur exercé par l’exécuteur testamentaire
- La publication d’extraits de textes de 130 chansons au sein de l’ouvrage constituait une atteinte à leurs droits sur les œuvres en cause.
La maison d’édition opposait l’exception de courte citation visée à l’article 122-5 3° du Code de la propriété intellectuelle pour contester les prétendus actes de contrefaçon (lire l’article L 122-5 3° du Code de la propriété intellectuelle).
L’éditeur des œuvres musicales estimait à l’inverse que l’exception de courte citation ne pouvait s’appliquer puisque ses conditions faisaient défaut : d’une part, le nom de l’auteur et sa source n’étaient pas mentionnés, d’autre part les citations n’étaient pas justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre, et enfin elles n’étaient pas courtes.
Décisions rendues par la Cour d’appel et la Cour de cassation en faveur de l’éditeur de l’ouvrage litigieux.
Le 12 janvier 2021, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement rendu en première instance qui n’avait pas reconnu l’atteinte aux droits des demandeurs (Cour d’appel de Paris, 12 janvier 2021, n°15/19803).
Le 8 février 2023, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi et approuvé la Cour d’appel, considérant qu’aucune atteinte au droit moral ni aux droits patrimoniaux des ayants droit n’était caractérisée (Cour de cassation 8 février 2023 n°21-23.976, lire la décision).
La solution rendue est favorable à l’éditeur de l’ouvrage litigieux, les magistrats ayant estimé qu’aucune atteinte au droit moral n’était caractérisée du fait de l’exploitation séparée des paroles (1) et que les conditions de l’exception de courte citation étaient réunies (2).
1. Absence d’atteinte au droit moral du fait de l’exploitation séparée des paroles
L’ayant droit de Jean Ferrat soutenait que la publication des paroles, indépendamment des musiques, portait atteinte au droit moral de l’auteur.
Il s’appuyait pour cela sur une décision qui lui avait été favorable dans une affaire quasiment identique qui concernait une autre biographie non autorisée de Jean Ferrat.
Dans cette autre affaire, les juges avaient considéré que « le texte et la musique constituent la chanson elle-même et ne sont pas dissociables » (…) et que « la dissociation des textes des chansons de leurs musiques créées spécifiquement par Jean Ferrat porte donc atteinte à son droit moral » (Cour d’appel de Versailles, 19 novembre 2019 n°18/08181 sur renvoi après cassation).
En l’espèce, interrogée sur la même question, la Cour de cassation rend une toute autre solution :
- Elle rappelle d’abord que « Selon l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre, lequel, attaché à sa personne, est transmissible à cause de mort à ses héritiers et dont l’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ».
- Elle ajoute que « la cour d’appel a énoncé, à bon droit, que, le texte et la musique d’une chanson relevant de genres différents et étant dissociables, le seul fait que le texte ait été séparé de la musique ne portait pas nécessairement atteinte au droit moral de l’auteur ».
Selon l’arrêt d’appel, aucune atteinte à l’intégrité des œuvres ne se trouvait caractérisée puisque « les citations n’étaient pas dénaturantes ».
La seule reproduction d’extraits, entraînant une fragmentation de l’œuvre d’origine, ne pouvait en soi constituer une atteinte au droit moral si les critères légaux de l’exception de courte citation étaient remplis.
A l’inverse, lorsque la modification de l’œuvre entraîne sa dénaturation ou banalisation, la jurisprudence considère que l’atteinte au droit moral est caractérisée (à titre d’exemple, lire l’article : Atteinte au droit moral de l’auteur en cas d’utilisation d’extraits de chansons dans des boîtes à musique).
2. Conditions légales de l’exception de courte citation réunies
La Cour de cassation a rappelé que « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut, en application de l’article L. 122-5, 3°, du code de la propriété intellectuelle, interdire les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source ».
Deux conditions essentielles de l’exception de courte citation étaient débattues:
Condition tenant à la brièveté des citations
Pour apprécier la brièveté d’une citation, la Cour d’appel a rappelé qu’il convenait de tenir compte « à la fois de la longueur de l’œuvre dont elle est extraite et de celle de l’œuvre à laquelle elle est incorporée ».
En l’espèce, la condition de brièveté a été jugée remplie après comparaison entre le nombre de vers reproduits dans l’ouvrage et le nombre de vers composant les chansons.
La Cour d’appel a également relevé que le nombre total d’extraits de paroles reproduisait moins de 20 pages d’un ouvrage qui en contenait 547.
De plus, elle a estimé que ces courtes citations n’étaient « pas de nature à se substituer aux œuvres mais incitent au contraire à s’y reporter pour les lire ou les écouter (…) ».
Condition tenant à la finalité des citations
Sur ce point, la Cour de cassation a considéré que la maison d’édition « avait, par un exposé, pour chaque citation, de son contexte, démontré que chacune d’elles était nécessaire à l’analyse critique de la chanson à laquelle se livrait M. [M], permettant au lecteur de comprendre le sens de l’œuvre évoquée et l’engagement de l’artiste ».
Elle a ajouté que « ces citations ne s’inscrivaient pas dans une démarche commerciale ou publicitaire mais étaient justifiées par le caractère pédagogique et d’information de l’ouvrage qui, richement documenté, s’attachait à mettre en perspective les textes des chansons au travers des étapes de la vie de [P] [Y] (…) ».
Les citations reproduites dans l’ouvrage poursuivaient donc un but précis : l’étude et l’analyse des œuvres musicales de Jean Ferrat.
La finalité des citations répondant selon la Cour aux exigences légales de l’article 122-5 3° du Code de la propriété intellectuelle, l’exception de courte de citation a donc été accueillie.
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